
« Tu es enfin réveillé mon c½ur ? »
Ma femme, qui se trouve face à moi, resplendit de douceur et de gentillesse. Vêtue d'une courte robe rouge foncée, elle me prend dans ses bras. Je la serre à mon tour.
« Bonjour, petit chaperon rouge ! »
Elle me sourit et me tend une tasse de café.
« Merci. »
La porte de la cuisine s'ouvre une seconde fois sur une petite fille de 8 ans qui se frotte les yeux, et un petit garçon de 6 ans l'air endormi. Ma femme s'approche de Thomas.
« Bonjour les enfants ! Bien dormi ?
- Fatiguée ! répond Clémentine.
- Papa nous dépose à l'école ?
- Je pense que oui Thomas, fit Caroline en me jetant un coup d'½il complice. »
L'heure tourne et après avoir déjeuné tous ensemble, je monte chercher mes documents de travail et je retourne dans l'entrée. Thomas et Clémentine sont prêts. J'embrasse ma femme une dernière fois avant de me diriger vers la voiture avec les enfants. Depuis l'intérieur de la BMW, je regarde la maison que je viens de quitter. La façade est blanche, les volets sont bruns, et les différents parterres de fleurs sont de couleurs vives. Caroline est à la fenêtre de la cuisine et nous fait signe. Ses longs cheveux blonds flottent au vent sous les doux rayons du soleil. Je dépose les enfants à leur école, avant de me diriger vers mon entreprise. Je dirige actuellement une société de vente. Je vends des meubles à des particuliers pour être plus précis. J'ai obtenu le poste de directeur à la mort de mon père qui gérait l'entreprise avant moi. Je suis plutôt jeune pour être directeur mais je suis plutôt doué dans ce que j'entreprends. Je gare la voiture dans le parking privé de la société. En entrant dans mon bureau, ma secrétaire frappe à la porte pour me signaler la présence de partenaires en salle de réunion. La présentation du nouveau design concernant les armoires va pouvoir commencer. La journée se déroule lentement sans accrochages. Je quitte le bureau aux alentours de 19h30. En arrivant à la maison, l'odeur du repas atteint mon estomac. Rien de tel qu'un savoureux repas préparé par votre femme qui vous aime. A peine la porte de la cuisine ouverte, que les enfants se jettent dans mes bras. Caroline me sourit et m'invite à prendre place pour manger.
« Comment était ta journée mon c½ur ?
- Comme toujours, parfaitement tranquille. Vous m'avez manqué. Et l'école ?
- J'ai eu 18 en lecture, me répond Thomas du tac-au-tac.
- C'est très bien ça. Et toi Clémentine ?
- Dis à papa ce que la maîtresse t'a dit ma chérie ! lui dit ma femme. »
Clémentine a l'air d'hésiter et se lève de table pour revenir avec un carnet à la main. Elle me montre une page, où un mot semble avoir été soigneusement inscrit.
« Bien qu'excellente élève, je ne peux fermer les yeux sur un exercice non fait. Clémentine doit rendre ses travaux à l'heure comme tout le monde. J'espère qu'elle pourra me présenter l'exercice qui était à faire pour aujourd'hui dès demain matin. Je vous prie de bien vouloir accepter mes sincères salutations. Madame Lemarchand. »
« Tu n'as pas fait l'exercice d'aujourd'hui Clem ?
- J'ai oublié de le noter, me répond-elle la tête dans les épaules.
- Je vois. Dans ce cas, tâche de le faire pour demain. »
Elle relève la tête, et voyant que je n'étais pas trop fâché, me sourit enfin.
« Ton père est trop gentil, se plaint Caroline en débarrassant la table. »
La nuit tombe doucement et arrive l'heure d'aller dormir. Je me glisse sous les couvertures aux côtés de ma femme qui semble dormir depuis un long moment maintenant. Je repense à ma journée. J'ai une femme magnifique, deux adorables enfants, une maison, une voiture, pas mal d'argent, un jardin, un bon travail plus que bien payé, du temps pour moi. En bref, une vie heureuse des plus banales.

« Salut ! »
Ce n'est que le propriétaire de l'immeuble. Et j'ai une vague idée de ce qu'il est venu me réclamer une fois de plus.
« Tu sais que tu ne vis pas ici gratos mon pote ! »
Je suis pas ton pote, sale type. Je n'ai qu'une envie, c'est qu'il dégage de là vite fait.
« Je veux mon argent mec ! Et vite t'entends ?
- Et tu l'auras ton fric !
- Quand ?
- Bientôt !
- Tu mens encore comme d'habitude ! Je veux mon fric d'ici demain où c'est la porte ! »
Dire qu'il y a encore deux mois j'avais un boulot. Pas un truc de ouf, mais un boulot tout de même. Suffisamment bien payé pour pouvoir garder mon appart en tout cas. Mais ma boîte de ménage a coulé subitement et j'ai été licencié comme tous les autres salariés. Depuis, je vis dans ce studio pourri avec un proprio pourri. Je n'ai jamais vraiment eu d'amis et en ce qui concerne l'amour, je m'étais toujours limité à des conquêtes d'un soir. C'était plus pratique. Il faut que j'aille faire quelques courses. Je n'ai presque plus d'argent et je vais devoir en trouver rapido si je ne veux pas finir dehors demain soir. Je vais à la salle de bain. Je me passe un coup d'eau rapide sur mon visage rondouillet. Je tente de coiffer mes cheveux bruns très foncés à cause de la graisse et de la poussière qu'il y a dans le studio. J'enfile un jean troué par-dessus mon ventre un peu rond. J'ai pris pas mal de poids à cause du licenciement. Mon t-shirt blanc, plus gris qu'autre chose, une veste trop petite et je quitte cet endroit pour aller à la supérette au coin de la rue. Arrivé dans les rayons, je sens les personnes me dévisager. Est-ce ma tenue, mon apparence repoussante, mes vieilles baskets où est-ce un tout ? Je ne sais que penser mais ce qui est sûr, c'est que je déteste avoir à sortir. Il est déjà 13h lorsque je rentre chez moi. J'ai encore croisé le proprio en bas qui m'a fait signe que le loyer devait être payé très, très vite. Je suis sur le palier de ma porte quand ma voisine, une vieille femme d'au moins 85 ans passés, m'interpelle.
« Vous tombez bien, j'ai besoin de votre aide si vous avez du temps. »
Que me veut-elle encore... Son chat est encore coincé, ou bien est-ce l'eau qui ne coule plus ? J'espère que non. Je déteste les animaux.
« Ma télévision ne fonctionne plus. Pourriez-vous y jeter un ½il ? »
Visiblement, cette fois-ci, ce sera la télé. Pourquoi n'appelle-t-elle pas un réparateur en fait, un vrai ! Je rentre dans son studio qui est plus propre que le mien. J'aperçois la friture de la télé sur l'écran depuis l'entrée.
« Je peux ?
- Oui, oui. Entrez ! »
La télévision est branchée, les câbles sont bien branchés, internet fonctionne aussi. Mais la télé affiche toujours cette friture qui me fait un peu penser à ma vie actuelle. Aussi vide que cet écran. Après plus d'une heure de recherches infructueuses et de tests tous plus inutiles les uns que les autres, je finis par trouver l'origine du problème : l'antenne qui était débranchée... Une perte de temps pour moi en somme. Je me dirige vers la sortie pour retourner sur mon canapé quand la vieille me rappelle.
« Attendez ! Je tiens à vous remercier de m'avoir aidé. Tenez, prenez ce billet ! »
Elle me met un billet de 50¤ sous le nez. Non mais pour qui elle me prend la vieille, elle me croit pauvre à point ? Certes c'est vrai, mais j'ai la vague impression qu'elle se fout de moi. J'attrape le billet et je file sans demander mon reste. Grâce à elle, je pourrais au moins obtenir un délai de plus auprès du proprio. Je passe le reste de ma journée devant ma propre télé jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller me coucher. Encore une journée à broyer du noir. Et j'ai encore dû aider cette vieille femme dans la galère. Elle devrait aller en maison de retraite à son âge. En bref, une vie de merde des plus banales.
